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Thibaut Ruggeri, classe royale



Interview / Patrick Thibault * Photos David Darrault Publié dans le magazine Kostar n°46 - été 2015

Depuis un an, Fontevraud est devenu une étape gastronomique. Lauréat du Bocuse d’or en 2013, Thibaut Ruggeri a pris les commandes du restaurant de l’abbaye Royale. Dans un aménagement convaincant du designer Patrick Jouin, il propose une cuisine créative inspirée par l’esprit des lieux et du terroir.

Comment présentez-vous votre cuisine ?

Je souhaite d’abord faire bon.


C’est un minimum…

Ça semble évident, mais ça n’est pas systématique. Beaucoup de modes font le buzz à un moment et quelques années plus tard, des restaurants disparaissent parce que ça n’était tout simplement pas bon. Ensuite, je tiens à l’esthétique. Et enfin, j’aime qu’il y ait du sens dans une assiette. Je veux pouvoir exprimer le pourquoi de ce plat. En résumé, le bon, le beau et le sens !


Du sens il y en a avec la soupe et le pain que vous déclinez à tous les repas…

Ça c’est l’idée du rituel avec la soupe et le pain sec. C’est calqué sur la saison et en évolution permanente. Là, je travaille un yaourth brassé au maquereau brulé avec du pain au fenouil sauvage. Puis, il y a l’élixir aux herbes de l’abbaye pour la fin. J’ai voulu un point d’entrée et un point de sortie.


Le sens, c’est l’accord entre les plats et le lieu ?

Le sens, c’est un terme qui veut à la fois tout dire et rien dire. C’est faire bon avec ce qu’on a dans son terroir. Un terroir spécifique que je n’aurais pas eu en Haute-Savoie ou ailleurs.


Un terroir forcément unique ?

J’ai eu un coup de foudre pas possible avec Fontevraud. J’ai tout de suite été en affinité avec le monument, ses valeurs et la cuisine. On est à Fontevraud et on réalise, à Fontevraud, une cuisine spécifique pour Fontevraud, avec un art de la table spécifique à Fontevraud. L’art de la table participe à donner du sens. On a le potager, le vin, les vignes… Tout à portée de main.


Pas question donc d’importer des produits ?

Je dis ça sans prétention aucune : j’ai toujours trouvé que c’était aberrant de recevoir des légumes par avion. Et je crois qu’aujourd’hui, on ne pourrait plus manger des asperges vertes n’importe quand dans un étoilé Michelin. L’univers de Fontevraud est tellement inspirant pour un cuisinier que je n’ai pas besoin d’aller loin.

“J'aime qu'il y ait du sens dans une assiette.”

Les saisons se déclinent-elles avec quatre offres par an ?

Non, il faut vivre au rythme de la nature et ne pas lui forcer la main. Il y a tellement de variations. Elle évolue en permanence et il faut la respecter. J’ai un système d’appellations suffisamment évocateur dans mes menus pour avoir des variantes différentes. Ma carte évolue en permanence.


On pourrait passer du sens aux cinq sens ?

Oui, c’est une bonne remarque. Je disais le sens dans le sens idée. En cuisine, si vous faites exceptionnellement bon, ça aura toujours moins de succès si ça n’est pas joli. C’est intrinsèque. Tout ça a à voir avec le bon goût et le mauvais goût. C’est toute la partie émotionnelle, ça va vous marquer, constituer une expérience que vous n’oublierez jamais.


Comme votre variation sur le champignon de Paris…

Incontournable à Fontevraud. J’ai fait évoluer ce plat 25 fois. On ne me parle que de ça. C’est à 98 % le même plat. Je n’ai donc changé que 2 % du plat mais j’ai trouvé des évolutions qui font mouche. Ça vaut la peine si on peut obtenir un tel taux de satisfaction avec seulement 2 % de changement. C’est passionnant si certains s’en souviennent toute leur vie.


Au-delà du champignon de Paris, comment célébrez-vous le terroir ?

Avec ma révolution d’un légume de saison. Une entrée froide uniquement à base de légumes auquel j’ajoute un condiment au chèvre. C’est peut-être le plat qui me tient le plus à cœur car il n’est jamais le même. Je fais à partir de ce qu’on a dans le potager.


Etre en prise avec un lieu et un terroir, c’est une contrainte ou une liberté ?

C’est un stimulant extraordinaire. Un vrai cuisinier, c’est quelqu’un que vous pouvez débarquer n’importe où. Il va regarder ce qu’il y a sur le marché, s’imprégner du produit et vous faire un plat qu’il n’aura jamais fait. Dans cette démarche, il y a une part d’excitation car il y a remise en question. Je suis convaincu que les chefs de province sont incités à performer et innover parce qu’ils sont contraints.


“Quand on enlève des couches et des couches, il n’y a pas de poudre aux yeux. Pas de superflu.”

Votre démarche, c’est faire en sorte que le travail s’efface pour arriver à une forme de simplicité, non ?

Je n’ai que 34 ans mais déjà 16-17 ans de parcours. Quand on démarre, on se dit que plus un plat va être technique, meilleur il sera. Chez Lenôtre où on produit 60 créations tous les 6 mois, j’ai vu ce que c’est que la pacotille qui assure le succès. J’ai rompu avec ce qui pourrait faire mouche. Quand on enlève des couches et des couches, il n’y a pas de poudre aux yeux. Pas de superflu.


Votre dessert citron jaune et olive noir, c’est le parti pris d’un travail sur l’acidité ?

C’est un travail sur l’équilibre sucré salé. C’est un dessert clivant. Je voulais mettre un agrume. Et je ne voulais surtout pas faire une énième tarte au citron. Je voulais partir sur quelque chose de différent. Je pensais au cocktail avec du Martini, la cerise… Des cocktails qu’on aime même s’ils sont super amers. C’est un dessert qui évolue.


Avez-vous tout de suite été en accord avec le projet de Patrick Jouin pour le lieu ?

Nous avons tout de suite été en harmonie avec Patrick et Sanjit Manku. Je dis chapeau car il y a un équilibre. Dans un site qui aura bientôt 1000 ans, le design navigue entre les deux périodes en permanence. Je voulais être évocateur de l’univers sans tomber dans la reconstitution. Je cherchais un déclic. J’ai fait mes maquettes d’écuelles. On s’est regardés et on s’est compris. J’étais totalement en phase puisqu’on a eu la même idée sans se concerter.


Fontevraud le restaurant, abbaye royale.


Entrée plat dessert

Un gaspacho fraise tomates, c’est divin.

Ensuite foie gras, asperges et infusion de ronces.

Puis, un parfait au miel givré avec les fruits qu’on veut.


Un vin

Un blanc, les Fresnettes du château de Targé. J’aurais aussi pu dire l’anjou blanc de Patrick Baudouin. Une gifle !

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